RELANCE DU TOURISME EN ALGERIE

 

Un tourisme sous contrôle

Malgré la volonté politique de développer le tourisme, il reste encore beaucoup à faire en termes d’infrastructures hôtelières, notamment au nord du pays. Mais plutôt que d’appliquer des mesures incitatives pour attirer les investisseurs étrangers, Alger joue la carte du protectionnisme.


Photo : D.R.La 16e conférence internationale du gaz liquéfié (LNG 16) s’est achevée fin avril à Oran et les 3 000 participants ont pu prendre la mesure des capacités d’accueil d’une nouvelle métropole du tourisme d’affaires. C’est en tout cas ce qu’espèrent les autorités algériennes qui, depuis deux ans, martèlent que les investissements faramineux nécessaires pour l’accueil de cette rencontre énergétique planétaire doivent s’inscrire dans un développement durable décisif pour l’économie et le dynamisme d’Oran, et du pays tout entier.
Branle-bas de combat dans la capitale économique, où les ministères des Transports, du Tourisme, de la Culture, et des PMI, la municipalité, mais également Air Algérie, l’entreprise de gestion aéroportuaire, l’entreprise portuaire de la ville, les médias et le géant national des hydrocarbures et du gaz, Sonatrach, se sont tous engagés pour donner à Oran une meilleure image répondant aux standards internationaux.
Grâce aux investissements de Sonatrach, des ouvrages d’envergure ont ainsi modifié le visage d’Oran et sa capacité d’accueil des touristes d’affaires : un immense centre des conventions doublé d’un hôtel Méridien 5 étoiles, deux trémies à El Bahia et Akid-Lotfi et un grand chapiteau pour agrandir l’aéroport international d’Es-Senia. Rien que le seul centre des conventions (CCO), réalisé par la société espagnole OHL, aurait coûté selon la presse locale 600 millions d’euros. Les routes, le port, tout a été rénové pour que débute la nouvelle ère du tourisme d’affaires à Oran.



500 projets hôteliers, notamment au nord


Car l’Algérie n’est pas comme ses voisins du Maghreb. Ici, ni tourisme de masse, ni tourisme d’affaires. Vivant sur son économie de rente, traversant des transitions difficiles et luttant contre le terrorisme (l’Algérie est toujours officiellement en état d’urgence, ndlr), le pays, contrairement au Maroc et la Tunisie, n’a jusqu’alors pas trouvé le moment opportun pour se positionner sur le juteux marché du tourisme. Toutefois, la diversification économique nécessaire au pays semble engagée, en tout cas sur le papier.
Le tourisme fait ainsi parti des secteurs cibles que l’Agence nationale de développement de l’investissement (Andi), conjointement avec l’Office national du tourisme (ONT) et le gouvernement, œuvre à développer. Les participations de l’Algérie aux rencontres internationales du tourisme sont plus fréquentes comme, par exemple, au MAP 2010 à Paris. Depuis deux ans, Alger accueille même un salon professionnel et grand public sur le thème des vacances, des loisirs et du bien-être.
Et si d’aucuns ont beaucoup douté d’une réelle volonté politique pour développer le tourisme, force est de constater que les chiffres enregistrés sont meilleurs d’année en année. Sur le premier trimestre 2010, l’Algérie connaît une hausse en termes de visites (+ 10,8 % avec 176 437 visites) alors que le marché maghrébin est en baisse (- 2 % avec 649 936 visites). Mohamed Benelhadj, directeur de l’ONT, observe « des progrès significatifs dans tous les segments du tourisme algérien, à la fois dans l’offre et dans le marketing. Et l’intersectorialité dans le tourisme ne sera plus un vœu pieu ».
Groupes hôteliers, compagnies aériennes, tours-opérateurs, tous sont maintenant encouragés par les autorités algériennes pour bâtir le tourisme algérien. Surtout les groupes hôteliers, car l’un des freins au développement du tourisme réside dans la pauvreté de l’offre hôtelière et notamment de luxe, pour le tourisme d’affaires. Le nord du pays, parce qu’il ne connaît quasiment pas de développement touristique – mis à part le tourisme affectif et de mémoire des pieds-noirs et des Algériens expatriés –, ne dispose que de très peu d’infrastructures pour le secteur. Paradoxalement, le littoral du pays est riche de multiples paysages et de sites culturels et historiques. Le sud, en revanche, concentre l’essentiel de l’offre hôtelière algérienne. Depuis longtemps en effet, le sud de l’Algérie, propice aux excursions dans le parc saharien et au tourisme d’aventure, attire une petite part de touristes. « Le sud est un produit d’appel exceptionnel avec des expériences hors normes, des évolutions vers l’écotourisme et le tourisme solidaire », précise Mohamed Benelhadj.
L’une des priorités pour le tourisme algérien réside donc dans le développement d’infrastructures dans le nord du Pays. Déjà la construction de l’autoroute Est-Ouest, qui relie déjà Alger à Oran, démontre un certain volontarisme politique en faveur du nord.
De nombreux projets hôteliers sont aussi évoqués par l’ONT et l’Andi. On parle ainsi de 500 projets, dont des hôtels 5 étoiles, et de villages touristiques essentiellement situés au nord pour près de 10 000 emplois créés. L’ouverture du Méridien à Oran à l’occasion de la LNG 16 est un exemple concret de ce développement, le directeur de l’ONT parlant même d’un besoin de deux ou trois hôtels 5 étoiles supplémentaires. Sans oublier la création de centres de formation et d’écoles, afin de répondre aux besoins de ce secteur émergent grevés par un manque de qualification de la main-d’œuvre. Selon l’Andi, l’école d’hôtellerie déjà existante à Tizi-Ouzou devrait former 250 agents en 2010.

Les capitaux étrangers doivent rester minoritaires


Pour financer ce véritable plan Marshall pour le tourisme en Algérie, le gouvernement compte sur les investisseurs étrangers, mais pas trop. Pour preuve, la loi de finances complémentaires pour 2009 venue durcir la réglementation de l’investissement dans le pays. Les investissements initiés par des étrangers doivent être réalisés en partenariat avec un ou plusieurs investisseurs nationaux, publics ou privés, majoritaires à hauteur de 51 %. Une mesure protectionniste parmi d’autre qui a fait monter au créneau les pays de l’Europe entière. Mais cette loi ne serait pas un frein à l’investissement selon les autorités algériennes, et elle n’a pas empêché non plus le syndicat patronal français (Medef) de promettre de nouveaux investissements de l’ordre de 5 milliards de dollars dans les années à venir.
Cette doctrine en matière d’IDE – investissement direct à l’étranger – permet sans doute à l’Algérie de conserver un contrôle sur les investissements afin d’éviter les abus qui, par le passé, auraient permis l’évasion de plus de 100 millions d’euros au profit d’investisseurs étrangers que certains n’hésitent pas à qualifier de « mafieux ». C’est en tout cas la position de Hamid Melzi, directeur général de la société (nationale, ndlr) d’investissement hôtelier (SIH) : « cette loi peut paraître très dure, mais elle est nécessaire. Lorsque l’Algérie constatera un plus grand respect de la part de tous les investisseurs étrangers, on envisagera un retour à une législation normale ». Du côté des projets hôteliers, c’est justement la SIH qui est compétente. Cette société d’État est d’ailleurs propriétaire d’un grand nombre d’hôtels de luxe du pays. Le Sheraton Club des Pins d’Alger lui appartient à 100 % ; une partie du Hilton d’Alger lui a aussi appartenu avant d’être revendue à des capitaux privés algériens ; et elle possède 34 % du Sheraton d’Oran – les 66 % restant étant aux mains de son homologue libyenne Lafico. Difficile de ne pas noter la présence quasi permanente de l’État dans le capital des infrastructures hôtelières d’Algérie. Autre exemple : le Sofitel d’Alger, propriété de EGT Centre, société publique par action. « Nous cherchons ce que nous n’avons pas. Ce n’est pas nécessairement les fonds, mais plutôt la technologie, raconte Hamid Melzi. Prenons l’exemple du groupe Starwood, qui dispose de trois hôtels en Algérie. Nous travaillons avec lui, car il sait gérer et nous apporte sa technique et son management. »
Cette intervention importante des fonds publics n’est pas sans rappeler aussi que le marché du transport aérien pour les vols intérieurs est également sous monopole d’Air Algérie malgré la disponibilité de compagnies privées sur ce marché. L’État contrôle directement ou indirectement bien d’autres segments du tourisme.
L’Algérie représente donc un potentiel énorme. Au nord, tout est à inventer et à construire. Mais à quand un tourisme de masse ? Le pari du tourisme d’affaires sera-t-il remporté ? Rien n’est certain, mais le développement du tourisme en Algérie passera par des partenariats gagnant-gagnant, ou il ne passera pas.

Philippe Adam. 4.05.10. CI