Entre le lac de Timimoun, l'artisanat de Fatis et le fort de Tinerkouk

 

Vers 16 heures, nous prenons la route en direction de Timimoun, elle se trouve à 200 km d’Adrar et à 1200 km d’Alger. Après 40 km, se dresse au loin la raffinerie de gaz de Sbâa. Une raffinerie qui alimente toute la ville d’Adrar et la centrale électrique. Et dire qu’il y a quelques années, personne n’imaginait que les ménages de cette ville utiliseraient son énergie. Aujourd’hui, le gaz est là et les Chinois aussi.
Reportage réalisé par Mohamed El Hachemi
Nous continuons notre route pour rejoindre la daïra d’Aougrout qui renferme elle aussi un gisement de pétrole. Sur le bord de la route, un énorme pylône électrique. Le vent de sable de la veille a eu raison de lui. Il n’a pas pu lui résister et il s’est affaissé provoquant une grosse coupure de courant. Ici, quand le temps se dégrade et se déchaîne, le vent charrie des grains de sable qui vous piquent et vous étouffent. De chaque côté de la route, c’est le plat absolu sous un ciel azuré. Au loin apparaît le plateau de Tadmaït qui se prolonge et s’étale dans toute sa splendeur et sa grandeur jusqu’à Menéa (El Goléa). Puis apparaît Hougrout, la cité aux 12 ksour sur la RN 51, empruntée par de nombreux camions et bus à cause de son bon état. Deux heures plus tard, apparaît Timimoun, l’oasis Rouge qui a fait et qui fait rêver de nombreux nostalgiques. D’illustres visiteurs ont été ses hôtes. De l’ancien secrétaire général de l’ONU «Perez de Cuellar» à l’ancien président Chadli et, récemment, notre président Bouteflika. L’unique station d’essence vous accueille et les travaux en cours montrent bien qu’elle en avait besoin et que son extension était nécessaire. Des habitants nous apprennent que parfois, pour faire le plein, il faut s’armer de courage et de patience. Un seul pompiste pour le gaz-oil, l’essence et le gaz. Timimoun demeure une ville du passé qui tente désespérément d’émerger du sable et se hisser inéluctablement dans le présent. Timimoun, région féerique par excellence, continue d’exercer un charme fascinant sur ses visiteurs. Les vieux ksour pullulent et les anciennes forteresses, vestige d’un passé glorieux, se dressent encore aujourd’hui et témoignent d’une époque où le Gourara était le centre d’une brillante civilisation. Le mérite de l’architecture revient sans aucun doute à un capitaine français qui entreprit au début du siècle la construction de la porte du Soudan, la mosquée et le célèbre hôtel «Oasis Rouge» dans un style qui fait la particularité de la cité. Les paysages fantomatiques ont inspiré plus d’un cinéaste. Mohamed Chouikh, Rachid Bouchareb y a tourné Cheb et le célèbre Bertolucci a filmé dans la région Thé au Sahara. Aujourd’hui, le tourisme est à déplorer. Dès l’occupation française en 1900, les chaâmba, les chorfa, des gens d’El Bayadh, d’El Abiod Sidi Cheïkh, de Tlemcen et de Laghouat vinrent s’installer dans la région. Il y a quelques centaines d’années, les eaux du grand lac s’étendaient à perte de vue sur plusieurs kilomètres. Passage vers le Tanegrouft et l’Afrique noire par Tambouctou, porte vers El Goléa (Menéa) qui voyait des caravanes aller jusqu’à Gabes. Des tissus, du miel, du beurre transitaient vers Timimoun chaque année vers la fin du XIX siècle, destinés à la vente vers des contrées lointaines. Aujourd’hui, ce lac est enfoui mais la toponymie locale montre que tous les villages vivaient par et pour le lac. El Marsa (le Port) et Aguelman (le Lac) en témoignent encore. Tous les ksour sont électrifiés. Des écoles ont poussé comme des champignons au beau milieu du printemps. A Timimoun, les routes constituent l’épée de Damoclès. Autant des nids-depoule, des chaussées déformées qui rendent la vie difficile aux automobilistes. Rien n’a changé à Timimoun et pour mieux illustrer cette vérité Rachid nous confie : «Même mon grand-père, mort depuis des décennies, parviendrait, s’il retrouvait la vie, sans encombre à trouver son chemin pour rejoindre son domicile.» Avec des milliers d’habitants arborant des tenues aux couleurs multiples, Timimoun est connue pour ses nombreuses «ziarra» et sa troupe musicale de «Ahl Eleïl» chante sous l’émerveillement de tous, des airs ancestraux qui ont largement dépassé les frontières du pays. Les chants de «Ahl Eleïl» sont des psaumes simples qui chantent Dieu et son Prophète (QSSSL) et l’amour impossible. Dès la tombée de la nuit, la complainte merveilleuse emplit les ksour. Les femmes rythment ces chants en mouvement, tournant le moulin de pierre (r’ha). Les constructions en dur côtoient étrangement les maisons en «toub» dont les plafonds sont faits de troncs de palmiers, de palmes et d’argile. Elles comportent toutes des terrasses, lieu de refuge durant la saison estivale. Il faut dire que beaucoup ne disposent pas encore de climatisation. Les cruches recouvertes de piassava (fibre de palmier) sont utilisées pour conserver l’eau fraîche. La région de Timimoun comporte beaucoup de sites magnifiques et enchanteurs qui exercent une étrange fascination sur celui qu’elle accueille. Lors de la célébration de la naissance du Prophète (QSSSL) durant l’après-midi, tous les habitants de la région et d’autres venus de contrées lointaines se regroupent à Zaouit Sidi-Belkacem où les danses sous un rythme effréné de bendir et de karkabou font fureur. Un spectacle qui vous destresse ! Chaque tribu déploie largement un étendard qui déterminera le vainqueur à qui revient l’honneur de l’organisation. Dans la nuit, tout ce petit monde repart en direction d’un autre ksar appelé «Macine». Une grande fatha est célébrée, accompagnée de versets coraniques et de louanges à Dieu et à son Prophète (QSSSL). De Timimoun, on prend la direction vers Tinerkouk. A 30 km, se trouve la grotte de Yeghzer qui représente un véritable mystère. Si en été, la température extérieure dépasse les 50 degrés, à l’intérieur, une fraîcheur vous accueille et vous oblige à vous couvrir au fur et à mesure que vous pénétrez dans cette enceinte magique. D’ailleurs, les gens viennent s’y réfugier car le mercure gravite autour des 20°. Une vraie aubaine pour ceux qui aiment roupiller. La tenue qu’arborent la majorité des habitants est sans conteste la gandoura et le cheche (turban). L’attachement à cet accoutrement s’explique par de nombreux avantages. En effet ce turban, long de plusieurs mètres, enroulé sur la tête, constitue un véritable rempart contre les rayons ardents du soleil. La cellule familiale n’a pas connu un éclatement particulier et on vit en pater familias où la turpitude est réprimée et les parents ne cessent d’haranguer leur progéniture sur la question. Le ksar de O/Saïd est réputé pour sa grande «kasria». Ce fameux distributeur d’eau que leurs ancêtres ont confectionné avec des moyens rudimentaires et qui assure une répartition en eau équitable et parcimonieuse. Toujours sur la route qui mène à Tinerkouk, apparaît le ksar «El-Kaf» qui regroupe plus de 500 habitants qui se démènent comme ils peuvent pour survivre, nous révèle Rachid. Pas de dispensaire, pas de magasins, pas de transport. Les gens sont obligés de se rabattre sur Timimoun pour s’approvisionner. L’eau est salée et la foggara, ancien système de drainage d’eau pour l’irrigation, est asséchée à cause de la proximité d’un forage. El Kaf vit l’isolement et l’enclavement. L’école primaire existe et les élèves du moyen se rendent inéluctablement vers le chef-lieu de daïra. Au loin, l’astre solaire se profile à l’horizon, se consumant pour disparaître et laisser place à la nuit qui vous fait rêver sous un ciel étoilé. Ici, pas de stress. A la tombée de la nuit, on arrive à destination de Tinerkouk ou de Zaouit Debagh. Cette appellation tire son origine d’un cheïkh surnommé Debaghi qui lui a attribué son nom. Quant à Tinerkouk, on nous confirme que les premiers habitants étaient des gens qui entassaient leurs provisions : Tdouk a donné Tinerkouk. Tinerkouk est une daïra qui compte plus de 4500 âmes venues de Metlili, Ouargla, El Bayadh, Labiodh Sidi Cheikh. Avant l’indépendance, on recensait une seule et unique école primaire dont les ruines demeurent encore, souvenir et passage de toute une génération. Aujourd’hui, plusieurs écoles primaires, deux CEM et un lycée font le bonheur des enfants et de leurs parents. A l’entrée de la cité, on ressent une certaine appréhension qui s’explique par un éclairage public défaillant et insuffisant. Chacun se rejette la pierre. Ici la djellaba et la gandoura sont de rigueur. Certaines femmes portent le voile, signe ostentatoire de la région des Hauts Plateaux. Les routes sont défoncées et les nids-de-poule nombreux. Le transport est insuffisant et les habitants connaissent de vraies déboires pour rallier Timimoun. L’environnement aussi est en péril. Une plante «drine» est quasiment arrachée pour servir de pâture aux dromadaires. Le gravier est ramassé par les femmes et vendu à des entrepreneurs. Ces actes constituent une grande menace pour la flore. Un appel est lancé. Autrement, le sable finira par engloutir toutes ces surfaces que nous avons ignorées et massacrées. Mais ce qui constitue l’attraction insolite de Tinerkouk, c’est bien son fort. Il est à noter que la présence coloniale n’eut lieu qu’à partir de 1916. Ce fort fut construit dans les années 50 grâce à une main-d’œuvre bon marché. Il servait de lieu de regroupement des militaires. Après leur départ, il fut abandonné et entièrement enseveli sous le sable. En 2003, la décision de le faire ressurgir, le mettre à nu, fut prise et on découvrit avec stupeur que tout était bien conservé. Les plafonds fabriqués de troncs de palmiers tenaient toujours. Tout était intact. Même le donjon qui abritait la grosse citerne qu’un puits alimentait et qui était destinée à desservir le fort était là, avec ses supports, ses tuyaux. De l’autre côté, une piscine. Le fort fut restauré et la grande cour témoigne de sa grande beauté. Des escaliers vous conduisent sur des terrasses qui forment un passage, lieu de guet et d’observation. La vue est imprenable, offrant un paysage psychédélique qui livre Tinerkouk dans toute sa féerie, mythique et fascinante. Au pied de ce majestueux fort, se trouve la première école primaire citée plus haut. Le président de la République a visité ce fort en 2004. Sitôt la visite effectuée, nous rejoignons le ksar de Fatis. Fatis est un ksar de plus de 3000 habitants. Son sol regorge d’eau et la palmeraie luxuriante en témoigne. Ici la plupart des habitants ont recours à un stratagème pour obtenir des fruits et des légumes. En effet, il suffit d’entourer un lopin de terre d’une clôture faite de palmes appelée «afrag», de semer et de s’en aller. Le moment venu, ils reviendront pour la récolte. Pas le moindre souci d’irrigation. Parfois, l’eau effleure le sol ! Fatis est surtout connue et réputée pour la qualité et la beauté de son artisanat (tapis, oreillers, tbag, gandoura...) toute une panoplie que des mains habiles ont su tisser en y mélangeant des couleurs chatoyantes. Le rouge et le blanc prédominent. Jadis, la population construisait à l’entrée du ksar des dépôts en toub destinés à entreposer des denrées. Tandis que, eux, préféraient habiter à l’intérieur. Aujourd’hui, ces dépôts sont en ruine, vestige du temps. La ziarra de Sidi Bassidi donne lieu à une grande «fatha» et le couscous est servi durant une semaine. D’ailleurs, une semaine commerciale est organisée, bon prétexte pour de multiples achats qui font le bonheur de ces marchands venus de loin. Ici à Fatis, le signal TV est faible et les habitants se rabattent inéluctablement sur la parabole. Pas de pharmacie, pas de médecin, seul un infirmier vaque au milieu d’un dispensaire. Pas de transport non plus ! Puis l’escapade terminée, nous quittons Fatis, pour nous diriger vers un autre ksar Tabelkoza, réputé pour la qualité de ses dattes et l’abondance de son eau. Entre les dédales des ruelles et les maisons en «toub» s’érige tel un monument la demeure de celui qui nous offrit l’hospitalité. Un vrai petit château. «Si dans d’autres régions du pays, raconte le propriétaire, les femmes, devant se rendre en pèlerinage, s’affairent aux tâches domestiques, ici dans notre ksar, les femmes qui ont la chance de se rendre à La Mecque sont considérées comme de vraies reines. Elles ne font rien, elles se consacrent uniquement à la prière et à la lecture du Coran. Ce sont les hommes qui s’occupent de tout (cuisine, vaisselle...). C’est ce qui le caractérise des autre ksour. La société de la région de Timimoun n’a rien mais a tout. Vous trouverez toujours quelqu’un pour vous offrir son toit et en guise d’hors-d’œuvre, une bonne bouchée de «sfouf» (dattes séchées et concassées). La région est surtout réputée pour son hospitalité, son couscous et son «khoubz el gola» dont la préparation nécessite la dextérité et l’habilité des mains. Une pâte à base de blé, légère et onctueuse est étalée sur une cruche (gola) dont on a pris le soin de préchauffer avec des palmes. La pâte cuite, elle est réduite en morceaux et arrosée d’une sauce pimentée. On prend le soin de laisser absorber et on sert avec la viande. Un vrai délice pour le palais. Un autre mets très apprécié «khoubz ennour» est également répandu dans la région. Il y a plusieurs manières de cuire, de griller la viande mais quand elle est servie ici, l’idée de régime disparaît et on a aussitôt tendance à faire ripaille. Chaque ksar regorge de secrets et de légendes, d’hommes et de femmes qui ont écrit son histoire. Les gens vivent en toute quiétude, en toute sérénité, en pleine osmose. Ici, le stress s’estompe. Lorsqu’on est assis sur l’erg, en pleine contemplation et admiration pour cette nature merveilleuse et féerique, sirotant un thé mousseux on découvre la flore dans toute sa splendeur. Une beauté à vous couper le souffle, une beauté surnaturelle qui vous transporte loin des tracasseries de la vie quotidienne. Une thérapie qui a fait ses preuves.


M. El-H./ Le Soir d'Algérie.